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Tchad : Le procureur interdit à la presse d’enquêter sur les violences de Mandakao

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Au Tchad, le procureur près le TGI de Ndjamena a interdit depuis samedi 14 juin aux journalistes et aux membres de la société civile de se rendre dans le village de Mandakao, dans le Logone Occidental, pour enquêter sur les violences intercommunautaires qui ont fait une quarantaine de morts début mai dans ce village et ont conduit à l’arrestation du principal opposant tchadien, Succès Masra, accusé d’en être le commanditaire, malgré ses dénégations. « Compte tenu de la sensibilité » de l’affaire, le procureur Oumar Mahamat Kedelaye prévient que « toute autre démarche parallèle » à l’enquête officielle en cours pourrait exposer son auteur à des poursuites judiciaires. Une mise en garde lancée au lendemain de la publication d’un rapport de la société civile sur ce drame.

Ce n’est pas un hasard, le communiqué du procureur de la République de Ndjamena est tombé après la publication du rapport de la mission d’enquête sur les évènements survenus dans le canton de Mandakao du Collectif des Associations des droits de l’homme, l’ADH, après une descente sur le terrain. 

Contrairement à la version officielle, qui parle d’un massacre prémédité sous l’instigation de l’ancien Premier ministre Succès Masra, les témoignages recueillis auprès d’habitants du coin, de responsables administratifs ou encore de parents de victimes semblent privilégier un conflit agriculteur – éleveur classique, qui aurait dégénéré, selon ce rapport, comme cela arrive souvent au Tchad.

Le problème, explique un journaliste qui revient d’un séjour dans la région de Mandakao, c’est qu’« il y a trop de zones d’ombres dans cette histoire », dit-il. Selon le collectif des ADH, depuis le massacre de plus de 40 éleveurs début mai, une centaine d’agriculteurs ont été arrêtés et sont poursuivis dans le cadre de cette affaire, ou encore 11 des 12 villages d’agriculteurs que compte le canton de Mandakao ont été attaqués et incendiés officiellement par des bandits armés « non identifiés ». 

Réaction du procureur de Ndjamena, Oumar Mahamat Kedelaye, que nous avons joint : « Il faut laisser la justice faire son travail d’une manière indépendante et librement, sans chercher à l’influencer ».

Mise en garde

Pour la justice tchadienne, l’intervention des journalistes et de la société civile pourraient fausser les investigations en cours. Le procureur de Ndjamena leur a donc lancé une sévère mise en garde : ne retournez pas à Mandakao pour mener vos propres enquêtes.

« Des juges d’instruction ont été saisis et ont commencé à poser des actes dans le cadre d’une enquête préparatoire déjà ouverte par le parquet d’instance », déclare Oumar Mahamat Kedelaye. « Par conséquent, compte tenu de la sensibilité de l’affaire, toute autre démarche parallèle est susceptible de constituer un empiétement sur les fonctions judiciaires ou des usurpations de fonction et pourrait éventuellement exposer son auteur à des poursuites judiciaires », prévient-il.

Réaction de l’Union des journalistes tchadiens : c’est une grave atteinte à la liberté de la presse et à la liberté d’informer, dénonce le secrétaire général de l’UJT, qui assure que le procureur cherche à faire taire les journalistes. 

« Nous sommes estomaqués par cette déclaration du procureur », déclare Anges Allah-Issem. « Ce que le procureur exige de nous, c’est purement et simplement le retour à la censure, ce qui n’existait plus au Tchad depuis 1994. Nous ne disons pas que le secret de l’instruction doit être foulé aux pieds. Nous disons simplement que les journalistes ont le droit d’aller enquêter pour dire ce qui s’est passé. »

Et pour un membre de la société civile tchadienne, cette interdiction cache mal, dit-il, la volonté de garder sous cloche la vérité sur Mandakao. Dans quel intérêt, s’est-il interrogé, sans donner de réponse.

Source : https://www.rfi.fr/fr/afrique/20250615-tchad-le-procureur-interdit-la-presse-et-la-soci%C3%A9t%C3%A9-civile-d-enqu%C3%AAter-sur-les-violences-de-mandakao

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