Économie
Afrique : La Chine supprime les droits de douane sur les exportations des produits africains
53 pays africains sur 54 vont pouvoir accéder au marché chinois beaucoup plus facilement. Cette mesure est une bonne nouvelle pour les économies du continent, mais elle sert aussi les intérêts géopolitiques de Pékin vis-à-vis des États-Unis.
La communication de Pékin sur cette annonce est moins spectaculaire que celle de Donald Trump sur ses droits de douane. Et pourtant, l’information vaut le détour : ce vendredi matin, la Chine a annoncé qu’elle allait supprimer 100 % de ses droits de douane sur tous les produits qu’elle importe d’Afrique. 53 États sur les 54 vont bénéficier de cette initiative inédite. L’Eswatini (ex-Swaziland) est la seule nation exclue du dispositif car elle reconnaît encore le gouvernement de Taïwan, ennemi juré de Pékin.
L’annonce a été faite lors de la quatrième édition de « l’exposition économique et commerciale Chine-Afrique », qui s’est ouverte jeudi, à Changsha (centre de la Chine). Pour rappel, 33 pays africains bénéficiaient déjà de cette exemption, en tant que pays les « moins avancés » économiquement, selon la classification de Pékin.
Les vingt nouveaux États entrant dans la liste ont pour la plupart des « revenus intermédiaires ». Et certains, à l’instar de l’Afrique du Sud, du Kenya, du Nigeria, de l’Égypte ou encore du Maroc, possèdent une base industrielle de plus en plus solide. Cet accès plus aisé au marché chinois devrait donc particulièrement leur bénéficier.
Rester le premier partenaire commercial de l’Afrique
Fait étonnant de cette annonce, la date d’entrée en vigueur de la mesure n’a pas été mentionnée. La raison est simple : Xi Jinping, présent au sommet, attend que les dirigeants africains négocient les détails et signent un nouvel accord économique entre la Chine et l’Afrique. Car l’objectif du dirigeant chinois est très clair : Pékin veut s’assurer de rester encore longtemps le premier partenaire économique du continent, mais aussi son premier investisseur et créancier.
En sachant que le dragon d’Asie occupe cette position depuis une quinzaine d’années déjà. Pour mémoire, selon les douanes chinoises, en 2024 les échanges commerciaux entre la Chine et l’Afrique se sont au global élevés à 295 milliards de dollars, soit une croissance de 4,8 % par rapport à 2023.
Mais ce chiffre cache un déficit commercial en défaveur de l’Afrique. En 2024, la Chine a en effet importé 116 milliards de dollars de produits africains, contre 178 milliards d’exportations vers l’Afrique. Le surplus commercial est en faveur de l’empire du milieu est donc de 62 milliards. L’idée de cette exemption est d’y remédier.
Autre objectif de cette initiative de Pékin : diversifier la nature des produits qu’elle importe d’Afrique, aujourd’hui essentiellement des matières premières (pétrole, minerais, etc). Une manière de commercer qui n’est pas exempte de critiques de la part de certaines ONG, qui accusent la Chine d’avoir la main trop lourde sur les ressources stratégiques africaines.
Un pied nez aux États-Unis
Le timing de l’annonce de cette exemption de taxes douanières dit quelque chose de l’autre dessein visé par Pékin : Donald Trump a annoncé début avril des nouveaux droits sur les produits africains, certains allant jusqu’à 50 %. Une décision qui a provoqué des tensions commerciales avec l’Afrique. Ceci, alors que le continent bénéficiait de l’« African Growth and Opportunity Act » (AGOA), un accord permettant d’exporter certaines denrées vers les États-Unis, sans droits de douane.
Jusqu’aujourd’hui, ce programme était l’ossature de la stratégie commerciale de Washington vis-à-vis du continent africain. Lancé par Bill Clinton il y a 25 ans, cet accord a permis d’exporter 8 milliards de dollars de denrées vers les États-Unis en 2024.
DE NOUVELLES MESURES INSPIRENT DE NOUVELLES REALISATIONS
Les données publiées par le ministère chinois du Commerce montrent que depuis le lancement de cette politique tarifaire jusqu’en mars dernier, les importations chinoises en provenance des PMA africains ont atteint 21,42 milliards de dollars, soit une augmentation de 15,2% en glissement annuel.
L’ambassadeur d’Ethiopie en Chine, Tefera Derbew, s’est montré élogieux à l’égard de la politique de tarif zéro de la Chine : « Cette politique permettra non seulement à davantage de produits présentant des caractéristiques africaines d’entrer sur le vaste marché chinois, mais aussi aidera à renforcer le niveau d’industrialisation de l’Afrique ».
Cheikh Tidiane Ndiaye, ancien rédacteur en chef de l’Agence de presse sénégalaise, partage le point de vue de l’ambassadeur éthiopien. Pour lui, cette politique chinoise « constitue un appui concret à l’exportation de produits africains à forte valeur ajoutée. Cela permet aux producteurs africains d’accéder plus facilement au marché chinois, l’un des plus vastes au monde ».
Face à une conjoncture internationale turbulente et changeante, la Chine continue d’accroître le niveau d’ouverture de son marché vers les pays africains, en favorisant l’importation sur son sol de produits africains de haute qualité et en élargissant leur accès à son marché.
Outre ce traitement tarifaire nul, la Chine a également établi et développé des « canaux verts » pour les produits agricoles africains, facilité la participation des entreprises africaines à des salons de grande envergure telles que l’Exposition internationale d’importation de la Chine (CIIE) et l’Exposition internationale des chaînes d’approvisionnement de la Chine (CISCE), construit des ponts pour permettre aux produits africains d’accéder au marché mondial et aidé les pays africains à renforcer leurs capacités commerciales.
La Chine est le premier partenaire commercial de l’Afrique depuis 16 ans. Depuis le sommet du Forum sur la coopération sino-africaine (FCSA) l’an dernier à Beijing, la Chine a fourni environ 17,12 milliards de yuans de financement commercial pour soutenir les exportations africaines, signé 22 protocoles avec 18 pays africains sur l’exportation de leurs produits agricoles vers la Chine, alors que plus de 2.400 entreprises alimentaires de 53 pays et régions africains se sont enregistrées en Chine.
De plus, la Chine soutient la construction des chaînes de valeur locales en Afrique. Depuis le sommet du FCSA en septembre 2024 jusqu’à la fin mars 2025, les entreprises chinoises ont investi 13,38 milliards de yuans supplémentaires en Afrique. Elle soutient ainsi le développement des PME en Afrique et a accordé 2,08 milliards de yuans de prêts à l’Afrique, couvrant 19 industries, bénéficiant à environ 350 PME et créant environ 4.500 emplois.
« Les priorités de développement du continent passent de l’exportation de matières premières à la production à valeur ajoutée », observe Humphrey Moshi, directeur du Centre d’études chinoises de l’Université de Dar es-Salam en Tanzanie. « Les relations sino-africaines évoluent au-delà du commerce traditionnel, vers une collaboration industrielle plus profonde et la création de valeur partagée ».
« Il ne s’agit plus seulement d’importer, mais de promouvoir ensemble l’industrialisation », estime Mabouba Diagne, ministre sénégalais de l’Agriculture, de la Souveraineté alimentaire et de l’Elevage. « La Chine est un partenaire stratégique, capable de stimuler la transformation structurelle de notre agriculture », souligne-t-il.