Politique

Togo : La détention du rappeur Amron ravive la colère contre le pouvoir

Publié

le

Au Togo, on sait enfin où se trouve le rappeur Aamron. Son avocat, Maître Célestin Agbogan, confirme qu’il a été conduit à l’hôpital psychiatrique, alors qu’il avait enregistré une vidéo vendredi 6 juin affirmant souffrir de troubles psychologiques et présentant ses excuses aux autorités. Le musicien avait été arrêté par les gendarmes le soir du 26 mai, alors qu’il se trouvait chez lui, en famille. Il est connu pour ses critiques du pouvoir.

Vendredi, le rappeur, connu pour ses critiques envers le pouvoir togolais, a publié une vidéo sur TikTok dans laquelle il affirme avoir souffert de troubles psychiatriques. Il y présente également ses excuses au président du Conseil Faure Gnassingbé, pour ce qu’il qualifie de « comportements outrageux ».

Mais pour son avocat Maître Célestin Agbogan, cette vidéo a été enregistrée sous contrainte : « Cette interview, cette vidéo-là, je ne crois pas. Moi, je doute fort, je n’ai pas les preuves pour le dire, mais à mon analyse personnelle, il n’a pas fait cette déclaration-là sans contrainte, s’est-il livré à notre journaliste au service Afrique, Eva Massy. C’est ce que nous disons, parce que là, on dit quelqu’un qui est affecté mentalement et quelques jours après cette même personne, comme par miracle, il vient et il parle comme quelqu’un qui n’a jamais été malade, quelqu’un qui est à l’aise et qui parle et qui résonne. »

L’arrestation, en pleine nuit, du rappeur Tchalla Essowè Narcisse, alias Aamron, le 26 mai, n’en finit plus de secouer le Togo. Artiste engagé, critique acerbe du pouvoir, sa disparition brutale de la scène publique a mis le feu aux poudres. Depuis, les appels à sa libération se multiplient. Les autorités, elles, restent de marbre.

Manifestations interdites, colère déchaînée

Ce vendredi 6 juin, la colère a explosé. À l’appel de mouvements citoyens, d’ONG locales et de partis d’opposition, des manifestants ont tenté de déferler sur les grandes artères de la capitale. Malgré l’interdiction formelle de tout rassemblement, ils ont bravé le cordon sécuritaire. Les affrontements avec les forces de l’ordre n’ont pas tardé.

Sur les réseaux sociaux, les vidéos circulent : pneus en feu, gaz lacrymogènes, manifestants dispersés à coups de matraque. Des échauffourées auraient aussi éclaté dans plusieurs villes de l’intérieur, signe que la colère dépasse Lomé.

Menaces et répression anticipée

Dans une vidéo relayée avant les manifestations, l’ancien ministre de la Sécurité, le général Yark Damehane, avait lancé un avertissement clair : l’ordre public serait « maintenu par tous les moyens ». Une déclaration perçue comme une menace à peine voilée par les manifestants, qui y voient la justification anticipée de la répression.

L’opposition, qui soutient la mobilisation, dénonce une répression brutale et préméditée. « Ces manifestations ne sont que le début. Il y a eu des arrestations très tôt ce matin, mais cela ne va pas nous décourager. Aujourd’hui, la peur a changé de camp », affirme Nicodème Habia, ancien député et président du parti d’opposition Les Démocrates, aperçu au cœur du quartier de Bè, bastion historique de la contestation. Il ajoute, déterminé : « Maintenant, nous exigeons la libération de tous les prisonniers politiques du Togo. Il y a environ une centaine de prisonniers politiques au Togo. »

Malgré les gaz lacrymogènes et les barrages, la mobilisation a partiellement tenu, notamment dans les quartiers périphériques. Les commerces restent ouverts par endroits, mais les appels à manifester ont trouvé un écho, en ligne comme dans la rue.

Un « mea culpa » sous contrainte ?

La veille, une vidéo d’Aamron circulait sur les réseaux sociaux. Visiblement affaibli, voix calme, ton posé, il demandait pardon au président du Conseil Faure Essozimna Gnassingbé. « J’ai fait une série de vidéos dans lesquelles j’avais tenu des propos injurieux et outrageux envers le président du conseil des ministres Faure Gnassingbé. (…) Après quelques jours de traitement, aujourd’hui, je suis un peu plus apaisé et je prends conscience de la gravité de mes propos et de mes travers. J’aimerais saisir cette occasion pour demander pardon et présenter mes sincères excuses à son Excellence Faure Gnassingbé, par rapport à mon comportement déviant, discourtois et outrageux à son endroit », a-t-il déclaré. Il a invoqué une dépression sévère : « Les rapports des médecins pouvaient le prouver, je traversais une période de dépression grave, qui m’a fait être hors de moi. » Il a depuis été transféré dans un hôpital psychiatrique du sud du pays.

Mais cette confession publique, diffusée à la veille de la mobilisation, n’a pas désamorcé la colère. « En dépit du pardon qu’il a demandé, j’ai rejoint ce matin les manifestants à Bè parce que je suis certain qu’il a été contraint de faire cette vidéo. L’essentiel pour nous, c’est sa libération et celle de tous les autres détenus politiques », confie un jeune manifestant.

Soutien familial et contestations

Quelques jours après l’arrestation, la mère d’Aamron a démenti que son fils souffrait d’un trouble mental. Sa fille a confirmé sur les réseaux sociaux que l’artiste était « parfaitement lucide et sain d’esprit » au moment de son interpellation, qui continue d’indigner jusqu’au sein de la diaspora togolaise.

Suivi par près de 24 000 abonnés sur TikTok, l’artiste n’est pas un cas isolé. En janvier dernier, le poète militant Sokpor Sitsopé Honoré, connu sous le nom d’Affectio, avait lui aussi été arrêté et inculpé pour « atteinte à la sécurité intérieure ». Son tort ? Un poème intitulé Fais ta part, dans lequel il appelait à « fissurer les chaînes de l’injustice ».

Une « démocratie numérique » muselée

Les réseaux sociaux incarnent une forme de « démocratie numérique » au Togo, mais ils sont rapidement muselés. L’architecte Sénamé Koffi Agbodjinou, cofondateur du collectif WoeLab et du réseau souverain PLUS, a vu ses comptes suspendus après avoir relayé le livre « Ce Pays Est À Nous Tous », pamphlet dénonçant la réforme constitutionnelle qui pérennise la dictature sous couvert institutionnel. Il dénonce aussi « une armée de trolls et de contre-influenceurs » financés pour harceler les militants en ligne, et l’usage massif du logiciel espion Pegasus, qui aurait visé une centaine de Togolais, dont des journalistes d’investigation. « Des moyens indécents – jusqu’à 20 000 euros par téléphone infecté – sont déployés pour surveiller une population que l’on prétend gouverner », fustige-t-il. 

Cette agitation sur les réseaux sociaux n’échappe pas au pouvoir. En 2024, le ministère de la Sécurité avait explicitement brandi la menace de poursuites pénales contre les auteurs de « fausses informations » ou de « propos diffamatoires ». Un avertissement limpide dans un pays où critiquer le régime peut valoir un séjour en prison.

Ce vendredi soir, les autorités restent muettes sur la journée de mobilisation en ce jour férié marqué par la fête de la Tabaski. La circulation a timidement repris par endroits, mais la tension demeure vive dans les quartiers de Bè, Tokoin ou Amoutiévé, où les stigmates de la répression s’affichent à chaque coin de rue.

Source : https://www.lepoint.fr/afrique/au-togo-l-arrestation-d-un-rappeur-rallume-la-colere-contre-le-pouvoir-06-06-2025-2591433_3826.php

Leave a Reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Dernières actualités

Quitter la version mobile